Isaac Bernard est né en 1789, alors que les luttes incessantes contre les Anglais ont cessé et que la prospérité s'installe peu à peu dans les petits villages échelonnés comme autant de grains de chapelet le long des côtes cayeuses et rougeâtre s de la Baie des Chaleurs. Il ne connaîtra pas le désespoir et la misère qui ont été le lot presque quotidien de son père Charles, de son grand'père Joseph et de ses ancêtres. Après quelques années à Maria, où deux de ses enfants sont nés, Isaac hérite de la terre paternelle, du côté est de la dune sablonneuse, en face de la scierie Lacroix (probablement la terre d'Alphonse, grand'père de l'auteur. Cette terre bien défr ichée, labourée d'estoc et de taille, chaque printemps, bien essouchée, est grasse et généreuse. Isaac n'aura pas à se battre pour la conserver et l'exploiter. Elle sufira amplement à nourrir ses douze enfants, sinon dans l'opulence, du moins dan s une relative aisance, celle que procure au paysan une terre fertile, engraissée depuis des générations à la sueur des fronts. Depuis 1796, à la suite de multiples requêtes adressées aux autorités anglaises qui dirigent la Gaspésie, les habitant s ont enfin obtenu leurs titres de propriété et sont, pour la première fois, réellement chez eux. Avec sa femme Geneviève, Isaac relève les manches et se met vaillamment au travail, poussant les labours jusqu'à la lisière de la forêt. Chaque printemps, il retourne les labours pour incorporer dans le sol de grandes quantités de varech et de har engs argentés qui viennent s'échouer sur le rivage par vagues successives. Durant des décennies, c'est avec cette surabondance de poisson que les terres gaspésiennes ont été enrichies en potasse, en fer, en magnésium et en calcium. Avec ses enfant s, Isaac remplit le tombereau de cette manne providentielle que la mer ramène généreusement chaque printemps. Pieds nus dans le sable des marées basses, les enfants d'Isaac ramassent les coques jaunâtres, à la chair tendre et dodue, dont maman Gen eviève fera une bonne soupe, engraissée avec une couenne de lard frais et enrichie de pommes de terre. Pour améliorer l'ordinaire, Isaac se joint pafois à d'autres habitants dans des sorties de pêche en mer. Embarqués sur de deris aux flancs larges, ils s'aventurent jusqu'aux bancs de Caplan et de Bonaventure, à rame, quelques milles au large , où se tiennent les grosses morues dolentes, les maquereaux aux dos bleûtés et les belles limandes au ventre blanc. C'est au jigger qu'ils attrapent les plus gros poissons, dont des morues qui peuvent peser facilement plus de dix kilos. Un seu l de ces poissons suffit à nourrir toute la famille d'Isaac. Comme elle l'a appris de sa propre mère, Geneviève apprête la morue à la mode acadienne, au cout-bouillon, avec de gros oignons, des pommes de terre et quelques lardons. Avec les têtes , les langues et les foies, elle fait de délicieuse cambuses dont les arômes délicieuses se répandent dans toute la maison. Pour les jours de fête, en fin de printemps, il y a parfois de délicieux homards écarlates... |